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Depuis quelques mois, nous entendons un air revenir régulièrement : « una mattina mi sono alzato. O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao« . Il s’agit du chant patriotique italien « Bella Ciao ». Très vite, tout le monde s’est emparé de cet air, de la désastreuse interprétation de Maître Gims aux étudiants en colère pendant les blocus des universités. Qui a mis le feu aux poudres (et c’est le cas de le dire) ? Netflix avec sa série espagnole La Casa de Papel. Un chant qui depuis quelques années faisait encore partie de l’Histoire et de la culture populaire italienne pendant la Seconde Guerre Mondiale. Cependant, ce phénomène de société de reprendre une icône ou un chant historique à des fins précises, n’est pas un cas isolé. Pourquoi un tel engouement ? Devoir de mémoire ou phénomène de mode ? Bon ou mauvais résultat ?

Publié le 18 Juin 2018 par Sophie Mahon

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La Casa de Papel (série Netflix)

Date de sortie en France : 2017

Contexte d’origine : marquer son image dans le temps et l’Histoire

Salvador Dali, grand peintre surréaliste espagnol, disait :  « le secret pour avoir du succès ? Offrir du bon miel à la bonne mouche au bon moment et au bon endroit« . Et nous pouvons dire qu’il a su vendre son image ce cher Salvador. De la pub du chocolat Lanvin en 1970 au masque sur le visage des braqueurs dans la série La Casa de Papel en 2017, Salvador Dali est aujourd’hui une véritable icône en Espagne, et la série nous le rappelle bien. Donc, pour en arriver là, que fut le bon miel et qui furent les mouches ? Le bon moment et le bon endroit ?

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En 2010, dans mon mémoire de Bachelor Business de l’art intitulé Salvador Dali : un génie commercial ?, j’écrivais « le peintre catalan a fait de son oeuvre sa propre publicité. Au-delà du champ artistique, Dali a su toucher d’autres domaines et ainsi diffuser son image sur des flacons de parfums ou des publicités à la télévision. À un moment où la société de consommation commençait à apparaitre ». Cet homme qu’on surnommait Avida Dollars entra dans l’Histoire et la culture espagnole en devenant son propre produit. Et oui, nous sommes loin des peintres espagnoles comme Diego Velasquez ou Francisco de Goya, au service de l’Art et l’Histoire espagnole. Devoir de mémoire ou phénomène de mode ? Pour Salvador Dali de son vivant, l’un n’allait pas sans l’autre. Résultat : en 2017, dans la série Netflix espagnole La Casa de Papel, El profesor pose sur le visage de ses braqueurs le masque du peintre aux moustaches légendaires.

Une image (normalement) connue de tous 

Donc, si nous suivons la pensée de Salvador Dali, les icônes et chants historiques sont réutilisés dans notre société s’ils ont antérieurement marqué l’Histoire. Ils sont véhiculés par des auteurs à des fins de devoir de mémoire, avant de devenir des phénomènes de mode.

Les célèbres moustaches Salvador Dali

Crédits Photos : © Taschen

Dans les années 1990 jusqu’aux années 2000, une autre icône parlant aussi la langue de Cervantes avait semé son image et son héroïsme un peu de partout chez les jeunes : Ernesto Che Guevara, dit El Che. Mais d’où cela vient-il ? Vous souvenez-vous de la chanson « Hasta Siempre » ? Dans les années 1990, la chanteuse française Nathalie Cardone interpréta ce chant écrit en 1965 par le compositeur cubain Carlos Puebla à la gloire du Che. Cette musique devint un tube planétaire. Selon l’Histoire, ce chant relatait le récit presque légendaire de la Révolution Cubaine, glorifiant le Che, et le plaçant à l’avant de la scène comme grand représentant et icône de la révolution.

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Portrait du Che Guevara, 1960

Alberto Korda

De cette reprise de Nathalie Cardone surgit un véritable engouement pour le Che. Les adolescents brandissaient des tee-shirts, sacs et badges avec le portrait à l’effigie du révolutionnaire. Il s’agissait en réalité d’une photographie « Guerrillero Heroico », réalisée par Alberto Korda en 1960. Révolutionnaire convaincu, le photographe ne toucha pas un centime, et ne réclama jamais aucun droit d’auteur jusqu’en 1990, quand la société Smirnoff reprit l’image de Guevara pour vendre de la vodka.

Sans cette photographie d’Alberto Korda, l’image du Che n’aurait sans doute pas traversé les générations. Mais derrière ce portrait se cachait plusieurs points que les jeunes ignoraient : les droits d’auteur, certes, mais surtout le rôle du Che dans la Révolution Cubaine. Ce personnage historique était très controversé, à la fois romantique et terroriste. Car il y a deux Che Guevara : d’un côté, le héros romantique, immortalisé par Korda. Et d’un autre le second Che, au-delà du mythe, et plus proche de la réalité : l’idéologue dogmatique, procureur des tribunaux révolutionnaires, assassin de prisonniers politiques, défenseur des crimes du FLN, stalinien devenu maoïste, tueur de sang froid et aujourd’hui, figure tutélaire des terroristes du Hamas à Gaza, du Hezbollah au Sud Liban et de toutes les guérillas narco-trafiquantes d’Amérique latine.

Au final, les jeunes qui suivaient la mode en brandissant son portrait ignoraient ce qui se cachait derrière ce portrait. Début 2018, la Ville de Paris proposait aux parisiens une exposition à l’Hôtel de Ville sur le Che Guevara, et tout l’engouement qu’il y eut autour de lui. Mais très vite la polémique arrivera autour de cette image mondialement connue : Fallait-il faire l’éloge du Che Guevara ? Selon un journaliste pour Slate au sujet de l’exposition : « Rendre hommage à Che Guevara c’est, au-delà des posters cool, saluer la mémoire d’un criminel et d’un des pires dictateurs du XXe siècle. Peut-être même, comme le laisse entendre des révélations plus récentes, saluer la mémoire d’un terroriste avant la lettre ».

Devoir de mémoire ou phénomène de mode ? Nous sommes ici dans des controverses sans doute issues de mauvaises interprétations de l’Histoire. Rendre hommage au Che Guevara certes, s’interroger sur sa célébrité, pourquoi pas. Brandir son portrait seulement pour suivre une mode, il y avait de quoi grincer des dents.

Du devoir de mémoire au phénomène de mode : quand la culture se perd

Au sujet de Bella Ciao. Petit rappel historique : Bella Ciao est un chant patriotique italien, célébrant l’engagement et le courage des résistants contre les allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale, alliées de la République sociale italienne fasciste, dans le cadre de la Guerre civile italienne. L’équivalent de notre « Chant des Partisans » en France. Ce chant est devenu un hymne à la résistance dans le monde entier, et l’année 2018 nous le rappela bien, entre la série Netflix La Casa de Papel, et les étudiants en colère qui chantaient Bella Ciao pendant les blocus des universités.

Mais au fur et à mesure, le phénomène de mode laissa dans l’ombre les origines de son sujet. Chanter Bella Ciao parce que nous aimons l’air, son symbole, et le contexte dans la série Netflix soit, mais quand est-il de nos connaissances sur ce chant ? Le phénomène de mode doit nous pousser à connaitre le sujet, et ne pas rester à la surface, suivre bêtement le troupeau. Surtout que le but de ce chant était justement de ne pas suivre le troupeau et les idéaux nazis pendant la Seconde Guerre Mondiale. Quand des étudiants étaient interrogés pendant les blocus, certains répondaient « Qu’est-ce que c’est Bella Ciao ? C’est le chant des braqueurs dans La Casa de Papel ». Mais encore ? Non, Bella Ciao, c’est avant-tout un chant patriotique italien. Poussons le sujet plus loin : quand Maître Gims fut interrogé au sujet de sa reprise de Bella Ciao, ce dernier répond « je voulais rendre hommage à la série ». Ce n’est pas la première fois qu’un artiste français reprend cette chanson depuis le succès de la série Netflix. Mais la reprise de Maître Gims semble être un projet plus commercial. Abomination. 

 

Pourtant, dans la série Netflix, El Profesor, chef d’orchestre du braquage de la Maison du Papier et du Timbre explique très clairement les origines et le sens de Bella Ciao. Netflix remet au goût du jour ici le chant historique en faisant d’un phénomène de mode un devoir de mémoire. Mais tout comme avec le Che Guevara, nous retombons dans une confusion sur l’interprétation de l’Histoire. Il ne s’agit plus ici d’un devoir de mémoire pour les générations futures (ce qui était malgré tout le cas du Che Guevara), mais de seulement réutiliser un phénomène de mode sur un chant historique pour vendre. Imaginez Maître Gims reprendre Le Chant des Partisans, et faire du hors sujet en changeant parole et sens. Nous ne parlerons plus de phénomène de mode ni de devoir de mémoire, ni de commerce, mais d’une mauvaise interprétation qui ne respecte pas l’Histoire. Et Maitre Gims aurait sans doute dû annuler la sortie de son album.

Quelques exceptions

Fort heureusement, nous avons malgré tout quelques contre exemples. En 1979, Serge Gainsbourg sortait son album « Aux armes et cætera ». Un album avec qui rencontra un énorme succès, enregistré en douze jours à Kingston, sur des airs de Reggae. Interrogé le jour-même au JT de 20 heures sur les éventuelles accusations d’antimilitarisme qu’il allait susciter, Gainsbourg répondait avec son sens de la provocation légendaire : 

« c’est pas des dents que ça fera grincer, c’est des dentiers ! ». Ce qui arriva. Michel Droit, journaliste et académicien français, publia dans le Figaro magazine un article où il accuse le chanteur de « provoquer » l’antisémitisme en se faisant de l’argent sur l’hymne national. Ici Serge Gainsbourg savait dans quoi il s’embarquait. Il connaissait l’histoire et les origines de notre Hymne National, et comme dit plus haut, savait quelle vague de polémique il allait provoquer. Nous avons tous en tête les images de Serge Gainsbourg le poing levé, entonnant La Marseillaise a capella face au public médusé du Hall Rhénus, à Strasbourg, le 4 janvier 1980, alors qu’entre 60 et 200 paras s’étaient déployés pour en découdre avec « l’usurpateur » de l’Hymne National. Serge Gainsbourg venait de régler ses comptes avec le public Français. Ici aucun phénomène de mode, seulement un devoir de mémoire selon un chanteur français. Le phénomène de mode suivit quelques années après, notamment avec l’image provocatrice et ingénieuse de l’artiste.

 

En conclusion, nous ne pouvons pas tout connaitre de l’Histoire, mais j’en profiterai pour faire le parallèle avec le sujet L du Bac de Philosophie sorti ce Lundi 18 Juin 2018 :  « La culture nous rend-elle plus humains ? » . Et bien oui ! il suffit d’être curieux sur les retours en arrière que la Société et la Culture nous offrent, pour ainsi forger sa propre opinion et culture. Derrière un phénomène de mode se cachent toujours une image, une histoire. Et souvent cela ne sort pas au hasard, que ce soit dans une série ou un album.

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