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Beauté ou Esthétisme ?
Ce que notre oeil veut nous faire voir

Oscar Wilde, grand romancier et poète du XIXème siècle écrivait : « la Beauté est dans l’oeil de celui qui la regarde » . Mais depuis des siècles cette question sur la recherche de la Beauté ou de l’Esthétisme a fait couler beaucoup d’encre. Cherchons-nous quelque chose qui nous transcende, ou suivons-nous simplement un phénomène de mode, dicté par le Marché de l’art et les critiques ? Entre le syndrome de Stendhal et l’exaltation devant une oeuvre de Damien Hirst, notre oeil et notre cerveau nous joueraient-ils un tour ?

Publié le 28 Août 2018 par Sophie Mahon

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Balloon Dog (Magenta)

Jeff Koons

Exposition au Château de Versailles en 2008

Le point de vue de Platon :

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Platon, grand philosophe Grecque, nous enseigne l’approche suivante : selon lui, la Beauté va bien au-delà de ce que l’oeil perçoit. Et se base avant-tout sur ce que l’objet ou la personne dégage. Dans son texte Le Banquet, Platon explique comment nous pouvons passer du désir de beaux corps ou bel objets à l’amour des belles choses, pour parvenir à la contemplation de la Beauté en soi. Être beau, c’est alors se rapprocher d’un idéal, c’est être ce qui doit être, ce qui assimilerait la Beauté à une perfection esthétique.

Cette philosophie est reprise en Italie, pendant la Renaissance, sous le nom de Néoplatonisme. Une pensée selon laquelle le Beau est identique à l’Idée suprême, au-delà de l’essence. La recherche du Beau par l’art est une façon de glorifier Dieu et l’Homme. Il faut savoir qu’à cette époque, sorti de la période Moyenâgeuse, l’Homme prend conscience qu’il est maître de sa vie, et ne dépend plus de Dieu. Il est même à l’égal de Dieu. Mais revenons à notre sujet de base. Vous connaissez tous la Naissance de Vénus, réalisé vers 1484 par l’artiste italien Sandro Botticelli.

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Dans ce tableau, voyons-nous une femme nue aux longs cheveux ? Un thème mythologique et érotique ? Pas que. Depuis plus de 1000 ans, le regard de l’homme n’avait plus vu de nu comme celui-là, en taille réel et gracieux, presque virginal. La Beauté est ici humanisée sous les traits d’une déesse. Et notre oeil voit en ce tableau un Idéal. Tel était le but de l’École Néoplatonicienne. Donc, recherche de Beauté ou d’Esthétisme ? Nous pourrions alors répondre « ce tableau représente la Beauté travaillée d’une manière esthétique précise, et a été réalisé dans ce seul et unique but Â». Autrement dit, l’esthétique engendre la Beauté. Et permet à notre oeil de s’exalter devant le tableau, célèbre pour ça : la Beauté.

Nous aimons, parce que c’est beau.

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La Naissance de Vénus (vers 1484-1485)

Sandro Botticelli

Galerie des Offices, Florence, Italie

Crédits Photos : © Le Gallerie degli Uffizi

Si la réflexion esthétique remonte à Platon et à ses réflexions sur le beau, la thématisation philosophique de l’art est assez récente. Rappelons qu’esthétique vient du grec aisthètikos, ce qui signifie la perception par les sens ou encore faculté de sentir. L’esthétique est la science qui traite du beau et du sentiment qu’il fait naître en nous.

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Le point de vue d’Emmanuel Kant :

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Emmanuel Kant est un philosophe allemand de la fin du XVIIIème siècle, dont la doctrine principale est « l’idéalisme transcendantale« . À la différence de Platon, Kant a une tout autre idée de la recherche de Beauté et de l’Esthétisme. Auteur de La Critique de la Faculté de Juger (1790), le philosophe examine notre faculté de jugement, la manière dont nous jugeons une Å“uvre, et émet une réflexion sur la nature du Beau. Pour Kant, nos sentiments sur la beauté diffèrent de nos sentiments sur le plaisir ou la morale. Car si nous cherchons à posséder des objets agréables, la beauté est recherchée pour elle-même. C’est ce désintéressement qui selon Kant, rend les jugements de goût universels : « est beau ce qui plaît universellement sans concept Â» écrit-il. Le plaisir esthétique viendrait du jeu entre l’imagination et la compréhension d’un objet perçu.

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Pour illustrer cette théorie, prenons le tableau Les Demoiselles d’Avignon de Picasso.

Peint en 1907, ce tableau représente une scène érotique dans maison close de la rue d’Avignon à Barcelone, mais annonce aussi l’avènement d’un courant artistique qui va révolutionner l’Histoire de l’art : le Cubisme. Ce tableau n’est pas un tableau cubique a proprement parlé car il tend plus vers l’abstraction, mais il lance ce courant. Donc, pourquoi un tel engouement universel pour cette nouvelle recherche de Beauté et d’Esthétisme ? Il fut démontré à l’époque que ce tableau représentait une nouvelle forme de Beauté et d’Esthétisme, tout en brisant les carcans Académiques artistiques. Selon les caractéristiques du courant cubiste « un objet n’est pas représenté tel qu’il apparaît visiblement, mais par des codes correspondant à sa réalité connue Â». Donc, si nous faisons le parallèle avec la philosophie de Kant, la venue d’un nouveau courant et tout l’engouement fait autour permettrait d’apprécier l’oeuvre ou l’objet.

Les Demoiselles d'Avignon (1907)

Pablo Picasso

Museum of Morden Art, New York, USA

Crédits Photos : © MoMA

Le point de vue de Karl Jaspers :

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Karl Jaspers, né allemand-suisse et naturalisé suisse en 1967, a la double casquette Philosophie/Psychologie. Après la Seconde Guerre mondiale, Karl Jaspers tente de trouver un sens à l’atrocité de la guerre. Il est donc amené à réfléchir sur le concept du Beau. Dans ses écrits, il soulève une certaine dualité du fond et de la forme. Pour lui, le beau sera fond. L’essence de l’être touche à la saveur. La saveur est pour Karl Jaspers, le mot clé pour décrire le fond d’un être, et cette saveur est forcément soumise au Beau. Quant à la beauté de la forme, simplement, il s’agit de l’esthétisme. Un objet peut être esthétique par son apparence, donc par sa forme.

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Prenons donc l’exemple de Wassily Kandinsky. Peintre russe du début du XXème siècle, il peint en 1912 à Munich le tableau Mit Dem Schwarzen Bogen, ou Avec arc noir. Cette oeuvre abstraire ne représente rien d’autre que des formes et des couleurs.

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Par cette cette liberté des formes, Kandinsky cherche à provoquer chez le spectateur des émotions et des sentiments par le jeu de la composition, des harmonies colorées, des équilibres, des masses et du mouvement organisé autour de l’arc noir. Il écrit au sujet de cette oeuvre « si on ne voit pas que l’objet lui-même et qu’on l’étend simplement à son nom, il se forme dans la tête de l’auditeur une représentation abstraite, un objet dématérialisé qui éveille immédiatement dans le ‘cÅ“ur’ une vibration« . Selon Jasper Jones et Wassily Kandinsky, l’artiste amène le spectateur à ressentir quelque chose face à l’oeuvre (le Beau), par sa forme (l’Esthétisme). Il s’agirait donc d’un vrai calcul visuel, sensoriel, pour amener notre oeil à voir quelque chose de bien défini.

Mit dem schwarzen Bogen, Avec l'arc noir (1912)

Vassily Kandinsky

Musée National d'Art Moderne, Centre Pompidou, Paris

Crédits Photos : © Centre Pompidou

Esthétique et spéculation ?

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Aujourd’hui, l’art contemporain est un vaste monde de création, mais aussi de spéculation. Les courants artistiques n’existent plus vraiment pour certaines artistes, qui préfèrent voir leur oeuvre comme leur propre signature et business. Nous parlions en introduction de cet artiste Damien Hirst, sans doute le meilleur exemple à donner avec Jeff Koons (illustration en tête).

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For the Love of God, 2007

​Damien Hirst

White Cube Gallery, Londres, UK

Esthétique et spéculation ?

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Aujourd’hui, l’art contemporain est un vaste monde de création, mais aussi de spéculation. Les courants artistiques n’existent plus vraiment pour certaines artistes, qui préfèrent voir leur oeuvre comme leur propre signature et business. 

 

Nous parlions en introduction de cet artiste Damien Hirst, sans doute le meilleur exemple à donner avec Jeff Koons (illustration en tête). Artiste britannique, Damien Hirst a su capter le regard du Marché de l’art et du public. Pourtant, quand nous regardons ses oeuvres, Y a-t-il quelque chose de vraiment de beau ou d’esthétique ? Et pourtant, croyez-moi, cet artiste est un des artistes les plus chers du marché. Pourquoi ? En 2008, la maison de ventes aux enchères Sotheby’s a mis en vente des oeuvres de Damien Hirst, jusqu’alors presque inconnu. Chose rare, cet artiste n’est pas passé par le schéma classique du Marché de l’art : quand un artiste est vendu, il est d’abord mis en vente sur le premier marché (galeries, salons, foires, etc.), pour finir son parcours le cas échéant en maison de ventes (le second marché). Ici, Damien Hirst a donc été vendu directement de son atelier à la maison de ventes. Autre point : pendant la vente, l’artiste a renchéri sur certaines oeuvres, afin de faire monter sa propre côte. Et que s’est-il passé ? Les acheteurs potentiels se sont rués sur les oeuvres. À quel moment la Beauté est-elle intervenue ? Les acheteurs voulaient acheter du Damien Hirst pour le nom et le prestige. Les médias se sont ensuite chargés de présenter l’artiste comme très bon, malgré des oeuvres esthétiquement contestables (vaches coupées en deux conservées dans du formol, un crâne de diamant, etc.) Aujourd’hui, l’artiste parait pourtant dans plusieurs ouvrages sur l’Histoire de l’art, et a séduit de grands collectionneurs comme François Pinault. Recherche de Beauté ou d’Esthétisme ? Ici sans contestation un esthétique simplement financier et ‘prestigieux’.

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Hanging Heart (Red/Gold), 2008

Jeff Koons

exposition au Château de Versailles en 2008,

escalier de la Reine

La cas de Jeff Koons : En 2008, le Château de Versailles accueille pour la première fois en France Jeff Koons. Un véritable événement dans le monde de l’Art et de la Culture. Seize oeuvres démesurées, ironiques, provocantes sont exposées à Versailles, dont l’exubérance doit s’accorder à la décoration baroque des Grands Appartements royaux. S’inspirant d’objets prosaïques de la culture populaire (bibelots kitschs, jouets d’enfants, bandes dessinées), ses sculptures aux reflets métalliques réfléchissaient joyeusement le décor rococo du château. Clownesques et pleines d’allusions sexuelles, les oeuvres apportent selon lui un peu de dérision l’esprit ‘raide et pompeux’ de Louis XIV, le Roi-Soleil. Est-ce beau parce qu’esthétiquement c’est beau ? Ou est-ce beau parce que c’était exposé à Versailles ? Isolés, est-ce que ces oeuvres seraient-elles qualifiées de belles ? Les avis sont partagés.  Les réactions aussi : pour les puristes de l’art et de Versailles, cette exposition dégradait complètement l’environnement esthétique et historique du Château de Versailles. Aujourd’hui cependant, les oeuvres gigantesques de Jeff Koons inondent le marché et les lieux publics (Musée Guggenheim à Bilbao, Rockefeller Center à New York, etc.). Un oeil très français ? Sans doute.

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En 2016, une ambassadrice américaine demande à Jeff Koons de réaliser une Å“uvre pour la France en mémoire des victimes des attentats de 2015. L’artiste propose alors une sculpture représentant un bouquet de tulipes d’acier intitulé Miss Liberty. Le coût pour la ville de Paris : trois millions d’euros. Mais un an et demi plus tard, l’œuvre crée encore la polémique. Selon eux, l’image kitsch et l’exubérance de l’oeuvre ne plaisent pas en France. Selon certaines critiques, ce n’est ni beau ni esthétique, et pourtant, nous parlons bien de Jeff Koons. En France, nous appelons ça « l’exception culturelle Â» : ce n’est pas parce que Jeff Koons est un des artistes les plus chers du monde qu’il est le meilleur.

Aujourd’hui, et particulièrement dans la création contemporaine, la question sur la recherche du Beau et de l’Esthétisme n’a jamais été aussi présente. Surtout vu l’état actuel du Marché de l’art contemporain. L’Art n’a donc pas fini de jouer avec notre oeil…

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